La mort de Jeanine Baude : une perte pour le Pen Club

Jeanine BAUDE est morte le lundi 27 décembre 2021, après avoir lutté de toute son énergie contre la maladie. Nous reparlerons d’elle, plus tard. Mais nous tenons déjà à vous faire partager un texte qu’elle a écrit récemment et qui témoigne de son engagement au sein de Pen Club – Elle y a exercé les fonctions de Secrétaire générale et venait d’être nommée vice-présidente d’honneur.

MERCI Jeanine !

24 décembre 2019
© Colette Klein

Max ALHAU
rend hommage à Jeanine BAUDE :

                                              

Rendre hommage à une amie côtoyée durant plus de vingt ans fait resurgir les émotions, les souvenirs dont ceux de la lecture de ses livres. C’est tout cela qui afflue quand l’absence définitive s’est imposée.

Comment ne pas évoquer la femme d’action, la voyageuse, l’écrivaine que fut et que reste Jeanine dans notre mémoire ?

Son désir d’action l’entraîna, il y a quelques années, à faire partie de l’Association des Amis de Louis Guillaume dont la Présidente était Lazarine Bergeret et dont Jeanine fut d’abord la secrétaire générale, puis la Présidente en 2011 quand Lazarine Bergeret, en raison de son âge, dut passer la main. Cette association qui décerne chaque année le prix du poème en prose fut animée par Jeanine avec ardeur et talent. Elle organisa à la Maison de la Poésie le 1er décembre 2012 un colloque «  Autour du poème en prose » auquel participèrent de nombreux poètes et qui connut un vif succès.

L’engagement de Jeanine se traduisit aussi dans le cadre du PEN Club et sa participation au Comité des femmes écrivains où son activité fut, hélas, réduite en raison de la maladie, un cancer qu’elle combattit avec un immense courage jusqu’au dernier moment.

Il est nécessaire aussi de rappeler son activité en tant que directrice littéraire aux éditions Petra où elle s’occupait de la publication de livres de poèmes et de nouvelles avec la conviction qu’on lui connaissait.  

Femme d’action, Jeanine était également une voyageuse qui aimait relater ce qu’elle avait découvert. Lorsqu’elle alla à Buenos Aires, elle en rapporta un livre : Le goût de Buenos Aires (Mercure de France 2009). De même elle séjourna longuement à New York ce qui donna lieu à deux publications : Le Chant de Manhattan (Seghers, 2006) et New York is New York (Tertium, 2006). Venise fut aussi une ville que Jeanine visita et célébra avec Venise Venezia Venessia (éditions du Laquet, 2001). Le goût de la découverte des paysages et celle des poètes l’entraîna en Slovaquie et donna lieu à L’insoutenable légèreté du poème, autour de quatre poètes slovaques : Turan, Bielik, Zbruz, Litvak (Revue l’Arbre à Paroles, 2001).

Malgré son goût pour les voyages, il semble que le lieu d’adoption de cette Méridionale fut Ouessant où elle possédait une maison. L’île était un refuge, une terre rude et accueillante où elle aimait résider l’été. Elle publia ce livre : Ile corps océan (L’Arbre à paroles, 2007) traduit en espagnol par Porfirio Mamani Macedo qui célèbre ce lieu. Mais l’essentiel, pour Jeanine, était la poésie et s’il n’est pas question dans cet hommage d’analyser une œuvre abondante et talentueuse, il faut toutefois mentionner que l’écriture de Jeanne, forte, sensible, ne contrastait pas avec son être mais en était le reflet : une écriture qui laissait percer ses sentiments, son goût pour l’humain. Il convient de rappeler ce qu’est son dernier livre écrit durant sa maladie en quelques jours : Les Roses bleues de Ravensbrück (La rumeur libre, 2021) : des poèmes d’une force, d’une sensibilité peu communes, des poèmes en hommage aux femmes déportées, des poèmes de la révolte, de la douleur et du refus de ces crimes qui furent ceux d’hommes habités par la haine et la cruauté.

Ces lignes reflètent bien imparfaitement ce que fut Jeanne mais elles sont l’approche d’une femme qui sut résister à la souffrance avant d’être vaincue, une femme qui portait en elle son goût pour la générosité, l’amitié, des qualités que chacun a pu apprécier et dont il se souvient avec émotion en ces moments douloureux.

Sylvestre CLANCIER témoigne :

Nous venons de perdre notre amie poète, Jeanine Baude, qui depuis plus de 15 ans était engagée dans les combats que mène le PEN Club français pour la défense des libertés d’expression et de création et celle de la diversité linguistique et culturelle. Elle participait à nos côtés, en tant qu’élue au Comité directeur, à la défense des écrivains persécutés et à la promotion des droits humains.

Dans l’anthologie que j’avais établie en 2006, dans le cadre du mouvement que quelques uns d’entre nous avait fondé et baptisé « Nouvelle Pléiade » pour couvrir tout le champ de la poésie de langue française sur les 5 continents, ensemble que j’avais fait paraître chez Seghers, en 2008, avec une préface et quelques ajouts de Bruno Doucey et des notices complétées par Stéphane Bataillon, Jeanine écrivait ceci :

« Les mots du poète sont le vent, la pluie, l’or stellaire qui fait lever le blé […]

  Ecrire, c’est vivre

  Lutter, aimer, danser, manifester, exister, sans nul doute et dans toute sa splendeur, sa    misère, son urgence ».

Telle était bien Jeanine, une femme debout et engagée pour soutenir les causes nécessaires, elle écrivait pour vivre et vivait pour écrire.

Parce qu’elle a su le faire avec la plus haute exigence, elle restera vivante et bien vivante dans nos esprits et dans nos cœurs.

Comme le soulignait Gabriel Audisio, son grand aîné, né à Marseille au début du 20ème siècle, « dans le Midi méditerranéen, le silence s’oppose à la parole, comme l’ombre à la lumière, plus nettement que partout ailleurs » et ce monde a façonné l’esprit et le caractère bien trempé de notre amie Jeanine, comme la roche, les falaises en bord de mer, aussi bien les calanques que les rochers bretons et les côtes d’Ouessant battues par les vents qui l’ont habitée.

Max Alhau, qui avec Jeanine Salesse et Paul Farellier a accompagné Jeanine Baude toutes ces dernières années dans la valorisation de l’œuvre du poète Louis Guillaume, était des poètes qui parmi nous la connaissait le mieux, c’est pourquoi nous lui avons demandé d’écrire l’hommage qui se trouve sur notre site. Jeanine était devenue, après la vaillante Lazarine Bergeret, la présidente de l’association qui s’employait activement à cette valorisation en poursuivant la réalisation et l’édition des Carnets Louis Guillaume.

Max a su dire à son propos une vérité essentielle : Jeanine Baude était à la fois une femme d’action écrivaine et une voyageuse écrivaine et poète, qu’il en soit remercié.

Je tiens aussi à remercier chaleureusement Andrea Iacovella, l’ami poète et éditeur que Jeanine et moi avions en commun. Il avait fait la connaissance de Jeanine lorsqu’il était en fonction en Grèce, il y a 25 ans et plus. Il a su dire avec toute l’intelligence de son cœur,  de façon fraternelle et émouvante, ce qui devait être dit la concernant, lors de ses obsèques au Funérarium du Père La Chaise, le 5 janvier dernier.

Sylvestre Clancier
Président d’honneur du PEN Club français
Membre du Jury du Prix Louis-Guillaume du poème en prose
Président de la Maison de Poésie Fondation Émile Blémont

Poème de Jacqueline PERSINI,

dédié à Jeanine.

Offrande

Un pas après l’autre, des pas près d’elle
des pas avec elle 
les jambes suivent et son dos se redresse 
on oublie le lit mais pas la fenêtre
avec elle, je marche, je m’arrête 
sans parole, nos corps avancent
et se relient

Le couloir est long
longue est la peine
de nouveau la chambre
mais pas le lit
non surtout pas le lit
le fauteuil
s’asseoir prend du temps

Nous avons le temps de la vie…

Elle s’assoit, elle y arrive.
Je la regarde dans les yeux
ses yeux qui voient et pensent
le bleu et le noir

Son regard, comme celui des nouveau-nés
des bébés, m’éclabousse
d’eaux primitives, claires et obscures
leur déferlement sans fond
me rend nouvelle, m’accorde à elle
pour voler au secours du monde

Liées à ce qui nous échappe 
chacune garde son cri 
le mot amitié prend tout son temps
pour s’habiller de lumière
les autres mots se taisent
plus de terre plus de ciel
plus d’endroit plus d’envers 
nous sommes sans âge  
dans l’instant de nos marches
de nos regards

 Seules nos âmes savent l’offrande