La Mort de l’imaginaire ? par Philippe Marlin

Je me limiterai, sauf exceptions, aux productions littéraires. Le domaine cinéma-vidéo est lui aussi particulièrement riche.

Remarque préliminaire : par imaginaire, et sans me lancer dans une analyse théorique, je retiendrai personnellement l’approche d’E.A. Poe, telle que développée notamment dans Principe Poétique (1850) : « sa démarche (de l’écrivain) est un acte créateur, tout le contraire de la « fancy » qui n’est que vulgaire rêverie. C’est par cette traque de « l’imaginal » qu’il peut éprouver une « intuition fulgurante ». Une “pédagogie imaginale” appelle une véritable subversion de la posture que le sujet entretient vis-à-vis du monde. Le terme imaginal délimite cette région d’images qui, n’étant pas d’abord le fruit de l’esprit humain, sont des visions, figures, symboles et archétypes d’un ailleurs qui transcende la cognition rationnelle : anges placés entre le visible et l’invisible, entre le tangible et l’immatériel, d’après la leçon de Henry Corbin.

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On entend souvent dire que les événements récents (pandémie, guerre) ont tué l’Imaginaire et que les grandes visions de la SF ne sont plus de la fiction, mais deviennent réalité. C’est peut-être la raison pour laquelle les rayonnages « fiction » des librairies de nos grandes surfaces ont changé fondamentalement d’aspect. La science-fiction semble marquer le pas et les étals accordent une place de plus en plus grande à l’(h) fantasy. Et il est vrai que contrairement à sa consœur, l’(h) fantasy ne plonge pas ses racines dans notre monde qu’i soit – passé, présent ou futur-, mais se situe clairement dans l’Ailleurs. Bergier, qui a fait connaître Tolkien dans ses Admirations (1970), disait que Le Seigneur des Anneaux était le premier récit qui a totalement évacué l’homme et son monde. Nous sommes en fait très proches de  l’univers du conte de fées.

Un magazine français consacrait récemment un gros dossier à la mort de la SF ! Je retrouve aussi un article du Monde du 26/6/2020 sur le thème « de la SF à l’énergie solaire ». Un bon papier signé Élisa Thévenet dans le débat actuel sur la mort de la SF. C’est vrai que cette littérature s’était centrée sur le progrès et ses dangers, transformant souvent nos sociétés en « dystopies ». Maintenant, on n’a plus peur de la fin du monde, elle est devenue banale. L’auteur de l’article essaie de montrer qu’il est urgent de prendre le contre-pied de ce désespoir littéraire et de concevoir la bonté comme un acte de rébellion. Elle croit voir poindre des mouvements de création positive qui portent des noms amusants comme « hoperpunk », « solarpunk » ou « zanzibar » et décèle en l’autrice française, Catherine Dufour », les germes de de ce tournant. L’anthologie qu’elle a piloté avec Alain Damasio, Furtifs, (la Volte, 2019) en serait un exemple.

Mais c’est sans compter de toutes façons sur les ressorts inépuisables de l’imaginaire qui sait parfaitement rebondir sur les nouvelles perspectives que lui offre un paysage en apparente décomposition.

  • L’actualité géostratégique est facilement absorbée
  • Certains thèmes restent intemporels
  • Les recherches en cosmologie ont ouvert toute une veine littéraire su le thème de l’intelligence de l’Univers
  • La reconnaissance du phénomène OVNI donne une nouvelle dimension à la SF
  • Les progrès du transhumanisme et de l’Intelligence Artificielle apportent un champ de réflexion très riche

° L’ACTUALITE GEOSTRATEGIQUE EST FACILEMENT ABSORBEE

Avec La Dictatrice (J’Ai Lu, 2020), Diane Ducret frappe un grand coup. Une politique-fiction qui démarre en 2023 et qui s’emboîte directement sur notre actualité quotidienne[1] Les démocraties s’essoufflent, engoncées par leur surconsommation, et les régimes populistes pérorent, se drapant pudiquement dans un manteau de fausse modestie. Une jeune journaliste de guerre, Aurore Henri-, née sous X et manifestement paumée dans sa vie, se révolte en participant à une manifestation monstre à Munich. Et il y a de quoi ! Les dirigeants bedonnants ont décidé de dissoudre la communauté Européenne et de reprendre leur entière souveraineté. Lancée par AH (tiens ces initiales !), un pavé atteint sa cible et blesse l’un des hommes d’état durant sa conférence. Arrêtée immédiatement malgré les réprobations du public, la journaliste aura droit à un procès retentissant, suivi tout autour de la planète par l’espoir fou qu’elle sème avec passion : guérir les hommes de leur tendances destructrices, bâtir une société nouvelle où régneraient la paix et l’harmonie. Elle parle d’eunomie et insiste fortement sur la place que les femmes devraient avoir dans la politique. Elle écopera pourtant 5 ans de prison à Landsberg (tiens, un autre AH y a effectué également un stage littéraire !), rédigeant ses mémoires et écrivant son programme. Son tweet hebdomadaire fait exploser tous les compteurs et le personnel pénitentiaire est obligé de recruter pour gérer les tonnes de courrier que reçoit la détenue.

Elle sera récupérée à sa sortie de prison par un groupe mystérieux de sponsors qui voient en elle « le sauveur ». Et force est de constater qu’en 5 ans, l’état de la planète s’est fortement dégradé, le Maître du Kremlin (on t’a reconnu !) prenant un malin plaisir à désorganiser le marché des céréales et celui de l’énergie. Le dérèglement climatique continue son œuvre destructrice alors que les budgets nationaux, asséchés, ne permettent plus d’assurer un minimum de maintenance dans les services publics.

La suite se dessine aisément, même si la course pour le pouvoir menée par EH AH est en permanence perturbée par une autre recherche, celle de ses origines et de sa génitrice. Elle deviendra chancelière d’Europe, coiffant les États-Nations du continent en se faisant voter les pleins pouvoirs. Elle débloquera les oukases du Kremlin, nous présentant un Poutine plus vrai que nature mais avec des travers libidineux que je ne lui connaissais pas. La situation économique et sociale s’améliore sensiblement, l’histoire est réécrite et la femme est mise sur un piédestal. C’est l’ère du « féminin sacré ». Nous avons droit à de magnifiques pages « d’archéologie » à la recherche de la sainte vulve, le vagin originel détrônant le big bang pour nous permettre d’appréhender la création suprême. Mais le système tourne vite au délire, les opposants étant éliminés sans merci et AH, pour faire parler les « récalcitrants », s’appuie sur les services d’un médecin fou auprès duquel le Dr Mengele fait figure de timide carabin.

Je ne spolierai pas la fin, sanglante comme il se doit, et qui nous renvoie encore cruellement à notre situation actuelle.

La conspiration de l’ombre, Steve Berry, Pocket 2022.  Notre ami Malone[2] nous entraîne cette fois au cœur du combat politique actuel, en Allemagne. Il est chargé par un ancien Président des USA de veiller sur la sécurité de la Chancelière qui ferait l’objet de menaces mystérieuses dans un climat tendu de campagne électorale. Régulièrement réélue, Oma, comme la surnomment affectueusement les Allemands, s’apprête à affronter Théodor Pohl, un candidat plus jeune et d’une autre sensibilité politique. Alors que la Chancelière représente le courant démocratique traditionnel qui a façonné l’Europe après 1945, son adversaire surfe de façon explicite avec les tendances populistes qui se profilent un peu partout sur le vieux continent. Et son nationalisme, teinté d’une nostalgie évidente pour le passé de la grande Allemagne, semble séduire de plus en plus d’électeurs. L’enquête nous conduira à la fin du IIIe Reich et nous amènera à nous interroger sur la fin d’Hitler et d’Eva Braun. Il semblerait que cette dernière, grâce à une habile substitution avec une employée du Bunker, ait pu s’enfuir, alors qu’elle était enceinte du Führer. L’homme clef de cette exfiltration, Martin Bormann, l’épousera alors qu’ils sont réfugiés en Amérique latine. On aura compris que ce thriller repose sur une hypothétique descendance et ses liens avec les deux candidats à la chancellerie. L’intrigue est comme toujours chez cet auteur bien ficelée et rythmée par des rebondissements qui décoiffent. Elle est aussi l’occasion de nous faire découvrir un véritable IVe Reich, celui de la diaspora nazie dans des pays bienveillants comme le Chili, l’Argentine ou l’ex État Libre d’Orange.

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Au total, une fiction dans laquelle on retrouve son quotidien et ses enjeux. Le courant « post apocalypse s’estompe » et fait place à la lutte contre une menace beaucoup plus insidieuse, un populisme larvé qui mine progressivement tous les régimes…

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CERTAINS THEMES RESTENT INTEMPORELS

L’HORREUR COSMIQUE

Wikipédia définit ainsi l’horreur cosmique, ou cosmicisme, tel que développé dans l’œuvre de Lovecraft : La philosophie du cosmicisme postule qu’il n’y a pas de présence divine connaissable dans l’univers et que les humains sont particulièrement insignifiants dans l’infini intergalactique. Ils seraient seulement une espèce primitive projetant ses propres superstitions sur le vaste cosmos. Elle suggère également que l’humanité serait constituée de créatures sommaires et insignifiantes au regard des luttes d’influences à l’échelle cosmique, où des forces incommensurables – formes de vie quasi omnipotentes ou races très anciennes et très sages à la technologie avancée – mènent une lutte dont la puissance, les enjeux et les forces dépassent notre entendement.

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Thomas Ligotti est trop peu connu en France et Chants du Cauchemar et de la Nuit (Dystopia Workshop 2014) vient opportunément combler – partiellement – cette lacune. Très célèbre aux États-Unis, il a du reste défrayé récemment la chronique, les réalisateurs de la série True Détective s’étant manifestement un peu trop inspiré d’une de ses œuvres. Tous les propos philosophiques, nihilistes et antinatalistes qui sortaient de la bouche du personnage principal, Matthew McConaughey, étaient en effet fortement influencés par l’essai de Ligotti : The conspiracy against the human race. 

La fiction de Ligotti s’inscrit dans la lignée de celles de Poe et surtout de Lovecraft. Pas besoin de reprendre artefacts du Maître de Providence (Cthulhu, Necronomicon…) pour nous faire plonger dans une horreur cosmique sans nom. L’homme n’est rien dans une mécanique glauque qui sème l’incompréhensible à la limite du non-sens. Je n’ai pu m’empêcher en lisant ce recueil à penser au Brussolo des années 80, mais un Brussolo qui se serait totalement immergé dans la « Métaphysique du Néant ». Manuscrits mystérieux, anciens Dieux disparus, personnages sans consistance, peuplent des nouvelles dont certaines ne sont pas sans rappeler La Couleur Tombée du Ciel (L’ombre au fond du monde), Dagon (Nethescurial) ou encore Gordon Pym nommément cité dans Le Tsalal.

Une petite perle, dans cet ensemble décoiffant : « Vastarien ». Nous sommes en compagnie de Victor Keirion, reclus dans sa mansarde, qui passe son temps à contempler sa cité décrépie (qui porte le nom de la nouvelle) et surtout de rêver en la magnifiant. Des rêves dont il s’extrait avec de plus en plus de mal, cherchant sans fin la clef du mystère de ce charme sulfureux qu’il éprouve en arpentant les ruelles oniriques. Il fait régulièrement le tour des bouquinistes pour essayer de trouver une explication à cette extraordinaire transformation et tombe un jour, dans une obscure échoppe, sur un livre sans titre qui est une véritable plongée dans son univers impossible. Le livre coûte une fortune, mais grâce à l’aide d’un mystérieux client tout de noir vêtu, il peut emporter l’ouvrage à petit prix. Et de replonger dans ses rêves, en compagnie de ce petit guide qui lui offre des perspectives inouïes. Las, au fil du temps, la cité idéale se rétrécit et finit par se fondre. Il comprendra que le client mystérieux était sur la même piste, mais ne pouvant plonger lui-même dans l’improbable Vastarian, il piratait en quelque sorte les rêves de Keirion. Ce dernier tuera le vampire onirique et sera arrêté par une équipe de psychiatres qui ne comprendra pas pourquoi l’intéressé avait près de lui un livre… vierge !

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Autre belle surprise avec Je suis les ténèbres de Joseph Denize (Julliard, 2022).Nous allons partager l’aventure d’un jeune dilettante belge, Kurtz, envoyé en mission « familiale » au Congo, afin -officiellement- de rédiger un mémoire sur la dimension « philanthropique » de la colonisation, mais aussi pour participer au commerce lucratif de l’ivoire. Il est vrai que la première moitié de l’ouvrage, au demeurant fort bien écrit, se traîne en longueur. On se lasse un peu de descendre le fleuve ! Mais c’est en arrivant au camp de base que l’aventure va se mettre en branle, notamment avec la rencontre d’un étrange explorateur dynamique, Moreau, à la recherche d’une peuplade inconnue. Alors que Moreau s’enfonce dans la jungle, Kurtz sympathise avec les habitants d’un village qui le considèrent comme un « vombi » (divinité) et en font leur roi, ce qui nous donne quelques pages truculentes.  Puis sur les traces de Moreau, il découvre un nouveau village fort bien tenu, dont les habitants ne sont pas totalement humains, possédant en effet certaines caractéristiques « batraciennes ». De surcroît, le village est recouvert d’une sorte de toile d’araignée blanche, qui semble être une plante, la « virgo », laquelle unit tous les indigènes dans un curieux vortex. Kurtz succombe aux charmes de la beauté de la communauté, Akkâ, avant de retrouver Moreau qui occupe une grande case dans la jungle. Il a baptisé cette race non-humaine les « Profonds » et prépare une communication qui devrait révolutionner nos connaissances en matière d’évolution.

Les choses se termineront mal entre les deux amis, mais ne spolions pas une chute surprenante !

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Maria Henriquez, Notre part de nuit (Le Seuil, 2021).  La vraie réussite dans cette famille « cosmicisme » vient de nous être livrée par Maria Enriquez avec un énorme pavé qui a pour titre Notre part de nuit. Un ouvrage qui coupe littéralement le souffle et qui a eu droit du reste à une page entière de commentaires élogieux dans Le Monde des Livres du 17 novembre 2021 sous la signature de François Angelier. La radiance noire de Lovecraft sous-tend ce récit avec son horreur vorace, tout comme l’inspirent le caractère glauque des petites villes de province de Richard Matheson ou les terreurs irraisonnées de l’enfance chez Stephen King. La monstruosité n’a rien d’une maléfique divinité nocturne ou d’une quelconque angoisse métaphysique. Elle a pour nom « l’Obscurité », sorte de trou noir vorace qui se nourrit de chair humaine qui lui est offerte lors de cérémonies secrètes organisées par « l’Ordre ». Une organisation présidée par la britannique Florence Mathers (tiens, la Golden Dawn !) et qui est censée permettre à ses dévots d’accéder à l’immortalité. Mais pour faire « jonction » avec la créature, encore faut-il disposer d’un médium expérimenté, capable de canaliser la créature et de limiter les dégâts de sa gourmandise sauvage.

Nous sommes en Argentine sous les années de dictature, et le récit met en scène Juan Paterson, héritier d’une famille d’émigrants. Il a épousé Rosario, riche descendante du clan Reyes-Bradford, fidèles sectateur de l’Obscurité. Il a perdu sa femme dans des circonstances mystérieuses et vit seul avec son fils Gaspar. Il possède les pouvoirs nécessaires à réaliser le « contact »et se trouve contraint par la famille Reyes à jouer ce rôle d’intermédiaire. Il est pourtant souffrant et son arythmie cardiaque est décrite avec moultes détails ; ses jours sont comptés. Il s’occupe tant bien que mal de son fils et livre un combat occulte dangereux contre sa belle-famille pour que Gaspar ne devienne pas le prochain intermédiaire, alors que le pauvre garçon manifeste tous les symptômes d’une médiumnité en puissance. L’action se déroule dans un climat particulièrement malsain dont sont victimes, outre Juan, Gaspar et ses amis. Il ne fait pas bon mettre sa main dans l’Obscurité, au risque de n’en retirer un moignon ; il est déconseillé de visiter une certaine maison abandonnée dont les étagères son décorées de restes humains et dont une certaine pièce est le repère de l’Obscurité ; il n’est pas indispensable de visiter les sous-sols de la villa Reyes où sont enfermés des débris vivants d’humains mutilés destinés à la consommation courante du monstre. Les scènes « d’Appel du Grand Cthulhu » de Lovecraft sont de gentilles cérémonies pour enfants à côté des rituels d’invocation de la Noirceur.

Un sacré tour de force que ce roman qui nous fait toucher du doigt le mal absolu. Mais aussi un beau roman d’amour entre un père et un fils qui vont se déchirer au nom d’une Horreur qui les dépasse.


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L’ECOLOGIE

Si comme moi vous aimez la viande rouge, ne lisez pas ce livre ; vous risqueriez de devenir végétalien ! Avec Âmes Animales, J.R. Dos Santos (H.C. éditions 2022) nous fait plonger dans un univers où on ne l’attendait pas, celui de l’écologie. Bien sûr le réchauffement climatique, bien sûr les gaz à effet de serre. Mais le cœur du problème est ailleurs, celui de l’élevage intensif et du massacre des animaux. Nous allons faire connaissance d’un sympathique éthologue qui porte bien son prénom, Noé ! Il a créé dans la région de Lisbonne une ferme modèle, Le Jardin des Âmes Animales, pour étudier le comportement de ses amis : on y rencontre une vache qui joue à cache-cache, un cochon farceur, une guenon qui parle en langage des signes, un perroquet qui s’exprime avec intelligence…  Et on arrive très vite à la conclusion que les animaux ont une véritable personnalité et éprouvent de réels sentiments. Noé est rosicrucien et s’appuie dans ses convictions sur l’unité de la création, l’homme n’en étant que l’une des expressions. Les travaux de Noé coûtent cher, et ses prises de position contre le massacre des animaux dérangent ses sponsors, financiers mais aussi écologiques. Les intérêts en jeu sont colossaux. Les vivres lui seront coupés brutalement et on retrouvera le savant noyé dans le bassin des orques de l’aquarium de Lisbonne. Tomàs Noronha[3], dont l’épouse travaillait au Jardin, va plonger dans une enquête d’autant plus délicate que sa femme est soupçonnée par la police d’être l’auteur du crime. On a retrouvé en effet sur le cadavre une lettre chiffrée qui lui était destinée. Les investigations nous ferons pénétrer dans le milieu des rosicruciens portugais et de leur riche symbolique. Ils nous vaudront aussi la visite – insoutenable – d’un abattoir industriel.

Je ne spolierai pas la chute, précisant simplement que l’un des animaux de Noé permettra de confondre le coupable. Un bouquin perturbant et s’appuyant sur une documentation étourdissante.

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°LES RECHERCHENT EN COSMOLOGIE ONT OUVERT TOUTE UNE VEINE LITTERAIRE SUR LE THEME DE L’INTELLIGENCE DE L’UNIVERS.

Les différents cycles de Dos Santos ou de Dan Brown.

Avec La Formule de Dieu (Pocket, 2012 pour la version française, 2006 pour la VO), José Rodriguez Dos Santos signe un petit chef d’œuvre sur fond de théofiction. Et quelle fiction quand il est dit en exergue « (que)toutes les données scientifiques ici présentes sont vraies ; (que) toutes les théories scientifiques ici exposées sont défendues par des physiciens et des mathématiciens reconnus » ! Ici, pas de Jésus, ni de Marie-Madeleine, ni de petits mérovingiens gambadant dans le Razès, mais une plongée abyssale au cœur du grand mystère de l’Univers.

Tomàs Norona, se voit approché par les services spéciaux iraniens pour décrypter un texte inédit d’Einstein, die Gottesformel. Un texte également convoité par la CIA car il contiendrait la recette pour fabriquer de façon simple et rapide une bombe atomique ultra-puissante. Mais de codes en signes, de décryptages en témoignages de divers universitaires, l’enquêteur se rend rapidement compte qu’il est face à un immense contresens. De bombe atomique point, mais une enquête serrée du grand savant pour prouver l’existence de Dieu. D’un Dieu qui n’est pas le Dieu cruel d’Abraham ni le Dieu bienveillant du catéchisme, d’un Dieu qui n’est pas le Dieu bouche-trou que l’on invoque lorsqu’on ne sait plus expliquer, mais le Dieu qui est au cœur de l’Univers dont il est le Grand Architecte. Et de nous offrir une plongée dans la physique quantique, la théorie du chaos et l’astrophysique, à la poursuite du Big Bang. Une plongée d’autant plus fascinante qu’elle est extrêmement pédagogique et se lit « comme un roman » pour le plus grand plaisir du lecteur dont l’intellect est pour le moins flatté. Et ce qui ne gâche rien, c’est que, par le biais d’un brillant mathématicien devenu moine tibétain, la démonstration fait en permanence la passerelle avec les grands textes sacrés (hindous, bouddhistes, cabalistes ou chrétiens comme la Genèse) pour montrer qu’ils reposaient tous sur une intuition qui sera ensuite étayée par les mathématiques.

Les perspectives que nous offre l’écrivain en conclusion sur l’avenir de l’univers, de l’homme et surtout de l’intelligence sont assez inouïes et relèvent de la meilleure des Science-Fiction spéculatives.

718 pages qui se lisent d’un trait.

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La Clé de Salomon de JR Dos Santos (Pocket, 2014) se présente comme la suite de La Formule de Dieu. Le professeur Tomàs Noronha est cette fois confronté à un nouveau mystère. Le responsable du Département Scientifique de la CIA est retrouvé mort dans les locaux du CERN à Genève, alors qu’une nouvelle expérience sur le boson de Higgs[4] venait de débuter. Et qui plus est avec un message entre ses mains semblant accuser l’expert en textes anciens et en cryptographie. L’enquête, pour passionnante qu’elle soit, est un nouveau prétexte pour nous faire plonger dans les méandres de la Physique de l’Impossible.

Elle débute, sous forme de clin d’œil, par une visite à l’hôpital où l’universitaire a été appelé d’urgence, sa mère ayant eu une crise cardiaque fatale. Et de la retrouver en pleine forme, émergeant d’une étonnante expérience de NDE. Une façon de s’interroger sur les liens du cerveau et de l’esprit, et de tenter de cerner l’incompréhensible. Comment le thanatonaute peut-il conserver des souvenirs de son existence alors que son électroencéphalogramme est plat, et son « disque dur » débranché ?

Mais ce n’est qu’une mise en bouche afin de nous permettre de mieux comprendre la suite. Le savant de la CIA aurait rédigé un mémoire, L’œil Quantique, que les Services Spéciaux veulent retrouver à tout prix, car il contiendrait la méthode pour fabriquer un ordinateur quantique, capable de faire sauter instantanément tous les codes, clefs, combinaisons. Bien utile pour une Agence Fédérale qui multiplie les échecs dans sa lutte contre le terrorisme. Et on aura droit à un cours très pédagogique sur les contradictions apparentes entre la physique classique (déterministe) et la physique quantique (aléatoire), avec en permanence une question lancinante : l’observateur a-t-il une influence sur l’observation et, plus grave encore, les choses existent-elles lorsqu’on ne les observe pas. Le dénouement sera grandiose : le chercheur américain n’avait pas décrit la technique de fabrication d’un ordinateur quantique, mais son mémoire montrait qu’il avait enfin résolu l’énigme de la « Théorie du Tout », à savoir la conciliation scientifique des inconciliables, sur fond d’un univers conscient s’observant en permanence pour se réguler. On revient bien sûr à La Formule de Dieu.

Une mention spéciale pour les « notes de l’auteur » qui clôturent chacun des romans de Dos Santos. La liste de ses sources, les références des universitaires à qui il a soumis pour vérification son travail, et la part des choses entre réalités avérées et fiction. Et quand on dit fiction, on ne parle pas d’Imaginaire au sens traditionnel, mais d’intuitions de l’auteur pour tenter d’approcher le Mystère de l’Univers.

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Dan Brown prend le relais de Dos Santos et avec Origine (Le livre de Poche, 2017) nous propose de traquer le grand mystère : d’où venons-nous ? où allons-nous ? Un mystère que prétend avoir résolu Edmond Kirsch, ancien élève du symbologiste Robert Langdon [5]; et qu’il se propose de révéler lors d’une conférence au musée Guggenheim de Bilbao. Compte-tenu du caractère ultra-sensible du sujet, le savant profite de la tenue en Espagne du Parlement des Religions pour rencontrer discrètement à l’abbaye de Montserrat trois hautes autorités religieuses, l’archevêque Valdespino, catholique traditionaliste proche d’un Roi d’Espagne à l’agonie, le rabbin Yehouda Köves, grand philosophe kabbaliste et l’ouléma Syed al-Fadl, un très respecté érudit musulman.

Kirsch invite Langdon à venir participer comme « guest star » à sa présentation et met à sa disposition son assistant Wilson. Une étonnante Intelligence Artificielle mise au point par le chercheur et capable de répondre à pratiquement n’importe quelle question. Ce sera également pour le symbologiste l’occasion de rencontrer Ambra Vidal, la séduisante directrice du musée et qui vient de se fiancer au prince Juliàn lequel va sous peu hériter de la couronne d’Espagne. La conférence, très high tech, vire rapidement au drame, Kirsch étant abattu par balle alors qu’il allait dévoiler ses découvertes en lançant une vidéo. Le coupable est vite repéré, un ancien militaire espagnol à la dérive embrigadé dans la secte de l’Église Palmariste. L’enquête de Langdon épaulé de la conservatrice pour démêler les motivations de cet attentat sera d’autant plus complexe qu’ils apprendront rapidement que Kirsch était victime d’un cancer foudroyant qui ne lui laissait plus que quelques jours à vivre. Elle aura surtout pour but de retrouver la vidéo qu’il s’apprêtait à lancer et la partager comme le souhaitait le savant.

Sans déflorer les méandres de la traque, on découvrira les meurtres du rabbin et de l’ouléma et on s’interrogera sur l’attitude ambiguë de l’archevêque espagnol. Le document tant convoité sera finalement retrouvé à Barcelone où résidait Kirsch et projeté sur les réseaux sociaux pour des centaines de millions de spectateurs.

J’avais peur que Dan Brown ne fasse une élégante pirouette et nous laisse sur notre faim quant à la nature du grand Mystère. Eh bien non, il n’hésite pas à nous présenter cette découverte, au risque de évidemment de décevoir. L’Origine ? Le savant espagnol a modélisé « la boue originelle » et l’a fait vieillir de milliards d’années jusqu’à ce qu’apparaissent les premiers maillons de l’ADN. On est évidemment loin du créationnisme pur et dur, mais il n’y a pas de quoi ébranler les religions. Et au fait, qui a créé cette « boue originelle ? La Fin ? La démonstration est subtile. Kirsch a modélisé l’homme sous forme de rectangles bleus et, le temps défilant, apparaissent aux côtés des bleus des « noirs » qui finissent par se fondre avec les précédents pour ne plus laisser que des figurines sombres. On l’aura compris, le « noir » représente la machine qui va se substituer progressivement à l’homme. Intelligence Artificielle et Transhumanisme ont pris le pouvoir… Mais si l’on part de l’hypothèse contraire à celle du savant matérialiste, à savoir que l’univers obéit à une intentionnalité, alors on rejoint Dos Santos dans Signe de Vie : « la vie peut transcender la biologie et générer une intelligence post biologique dont la motivation n’est rien d’autre, dans le cadre du cycle de l’évolution, que de remplacer le maillon le plus faible de la chaîne. »

Un ouvrage qui force à réfléchir et qui, comme à l’accoutumée chez l’auteur américain, sait nous faire rêver en nous faisant visiter des endroits somptueux ; ici ce sera la Sagrada Familia à Barcelone et le palais de l’Escurial près de Madrid !

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Ces quelques exemples illustrent bien le développement d’un nouveau courant de fiction que j’ai baptisé « théo-fiction ». Ce courant, inspiré par la quête du Divin, a véritablement « explosé » en 2003 avec le fameux Da Vinci Code de Dan Brown.

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° LA RECONNAISSANCE DU PHENOMENE OVNI DONNE UNE NOUVELLE DIMENSION A LA SF

La reconnaissance récente par le Pentagone d’observations « inexplicables », loin de tuer la SF, lui donne de nouvelles dimensions. Et cela à un moment où les progrès en astrophysique nous apportent chaque jour une nouvelle moisson de planètes-sœurs. Mais où est donc la vie dans tout cela ?

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J.R. Dos Santos poursuit et termine (?) son cycle de thrillers métaphysiques avec Signe de Vie (HC éditions, 2018). Et de nous propulser cette fois dans les mystères de la vie, au prétexte d’un contact vraisemblablement extra-terrestre, connu sous le terme de wow[6], en provenance de Tau Sagittari et détecté par l’observatoire de l’Institut Seti de Hat Creek par l’Allen Telescope Array (15/8/1977). Sur la base de ce fait inexpliqué, mais aussi en se référant aux analyses d’échantillons martiens (par les sondes Viking ou par divers laboratoires ayant recueilli des météorites), l’auteur fabrique un thriller haletant, sorte de cocktail de (Premier) Contact, Seul dans l’Espace et Alien. Car le signal s’est répété et son décodage fait apparaître un message, le symbole Pi, écrit avec 42 chiffres, qui est le signe du cercle, mais aussi le calcul du périmètre de l’univers visible à partir du rayon d’un électron. Il y a de la vie dans l’univers, et cette vie n’est pas seulement biologique, mais consciente et obéissant à une intelligence. Mathématiques, physique quantique et astrobiologie sont largement sollicitées pour démontrer que le phénomène vital résulte d’un plan cosmique et qu’il est universel.
La localisation de ce signal montre qu’il se rapproche de la Terre et une mission internationale est mise rapidement sur pied pour aller à la rencontre de l’objet que nous envoient les émissaires de Tau Sagittari. Tomàs N. sera de l’équipe, en tant qu’historien-cryptologue de renommée mondiale, afin d’essayer de nouer contact avec les visiteurs. La Russie refusera de s’associer à la mission, faisant bande à part en estimant que ces extra-terrestres sont une menace et qu’il convient de les détruire. Le trip spatial dans la navette Atlantis, remise en service pour l’occasion, est remarquablement bien documenté et la rencontre avec Phanès, nom de code de l’engin utilisé par les extra-terrestres, défiera toutes les prévisions. Sans donner la clef afin de ne pas gâcher la lecture, on y découvrira que la vie peut transcender la biologie et générer une intelligence post biologique dont la motivation n’est rien d’autre, dans le cadre du cycle de l’évolution, que de remplacer le maillon le plus faible de la chaîne. Une lecture ébouriffante, très érudite, mais facilement digestible grâce à la technique d’écriture éprouvée de Dos Santos, des chapitres courts, nerveux et qui se terminent toujours par un rebondissement imprévu.

(film Premier contact, revue ORBS special contact)

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° LES PROGRES DU TRANSHUMANISME ET DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE OUVRENT DES VOIES INOUÏES.

JR Dos Santos continue de nous surprendre avec Immortel (Hervé Choplin 2019), un techno thriller dans la veine de La Formule de Dieu, la Clef de Salomon et Signe de vie. Sa recherche de l’intelligence cosmique passe cette fois par l’homme, un homme qui vise à égaler la divinité en utilisant des outils technologiques sans cesse plus sophistiqués. Les héros de ce roman sont en effet l’Intelligence Artificielle et le Transhumanisme dont les possibilités donnent le vertige. L’auteur, comme toujours, nous donne des synthèses scientifiques très complètes sur l’état de l’art en la matière, en insistant sur le fait que nous sommes proches de la « Singularité ».

Pour certains théoriciens et futurologues, il existera en effet dans l’avenir un moment à partir duquel l’humanité connaîtra une croissance technologique d’un ordre supérieur, sans doute grâce à l’intelligence artificielle. Car lorsque les intelligences artificielles dépasseront les capacités du cerveau humain, elles sauront aussi construire des intelligences artificielles plus efficaces qu’elles-mêmes. L’accélération du progrès technique, observée depuis des millions d’années et jusqu’ici modélisée par des exponentielles (comme la loi de Moore), enregistrera alors elle-même une accélération. A partir de ce moment, le progrès technique ne sera plus l’œuvre que des machines. Ce point d’inflexion voire d’explosion du progrès, qui évoluera trop vite pour que le cerveau humain puisse l’appréhender, est désigné par le terme de singularité en analogie avec la singularité gravitationnelle, région de l’espace-temps (telle que les trous noirs) au voisinage de laquelle le champ gravitationnel est trop important pour que la relativité générale parvienne à le modéliser, même s’il n’est pas infini. Logiquement, l’être humain sera donc incapable aussi de prédire les conséquences sur la société et nos modes de vie de cette singularité technologique. Pour bon nombre des défenseurs de cette hypothèse, son avènement pourrait intervenir dans les années 2030 ou 2040. Ensuite, une nouvelle organisation succèdera à l’actuelle ère humaine dans laquelle le Transhumanisme prendra toute sa place. Il ne s’agira plus de préserver l’homme (physique), mais sa conscience…

Le thriller fait intervenir notre cher Professeur Tomàs Noronha, appelé à l’aide par un des plus grands savants chinois, Yao Bai, dont le fis avait fait équipe avec lui lors de la mission spatiale Signe de Vie. La Chine serait prête à franchir le pas, c’est-à-dire à connecter ses super calculateurs aux réseaux et à créer l’IAG (Intelligence Artificielle Générale) en testant l’hypothèse effrayante suivante : à partir d’un certain niveau d’intelligence, la machine ne devient-elle pas consciente ? Nous sommes entraînés dans un hallucinant voyage dans la matrice en compagnie d’un chercheur qui n’hésite pas à télécharger son propre esprit dans la toile. Et ce qui fait frémir, c’est que l’auteur nous explique calmement que tous les éléments sont pratiquement en place aujourd’hui pour y parvenir et qu’il n’y a plus qu’à brancher quelques câbles ! Dans son dossier pédagogique en fin de volume, Dos Santos nous rappelle que les plus grands techno-savants de la planète (Elon Musk, Bill Gates, Stephen Hawking) ont régulièrement dénoncé le risque inouï qui nous menace, allant jusqu’à créer des organisations internationales pour nous alerter comme le FLI (Future of Life Institute) autour de Jaan Tallinn (fondateur de Skype) et financé par Elon Musk.

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Les descendants du Pr Challenger (Le Monde Perdu, Conan Doyle, 1912) commençaient à déplorer la disparition progressive des « espaces blancs » sur la surface de la terre. « L’explorateur » ferait-il partie d’une race en voie d’extinction ? Nous venons de voir qu’il n’en est rien et que les perspectives qui apportent nourriture à notre Imaginaire flirte maintenant avec l’Infini. Souhaitons que le roman post-apo fasse rapidement partie des mauvais souvenirs et que les menaces du despote du Kremlin soient bientôt classées au rayon des « archives psychiatriques » de l’humanité.

Ici, on rêve !


[1] Une lecture d’août 2022

[2] Le détective « culte » de Steve Berry

[3] L’enquêteur favori de l’auteur que l’on retrouve dans tous ses thrillers. Jeune universitaire portugais, expert en langues anciennes.

[4] Cette particule élémentaire constitue l’une des clefs de voûte du modèle standard de la physique des particules11. À ce titre, elle est parfois dénommée « particule de Dieu ». La connaissance de ses propriétés peut par ailleurs orienter la recherche au-delà du modèle standard et ouvrir la voie à la découverte d’une nouvelle physique, telle que la supersymétrie ou la matière noire.

[5] L’investigateur favori de Dan Brown.

[6] Le signal « Wow! » est un signal radio puissant, à bande étroite et centré sur la raie à 21 centimètres, capté le 15 août 1977 par le radiotélescope de l’université d’État de l’Ohio surnommé The Big Ear1. D’origine inexpliquée, ce signal, qui a été capté pendant 72 secondes et n’a plus été détecté depuis, a fait l’objet d’une attention significative de la part des médias.

Le phénomène fut observé par Jerry R. Ehman, astrophysicien qui travaillait avec le radiotélescope dans le cadre d’un projet SETI. Stupéfait de voir à quel point le signal observé correspondait à la signature attendue pour un signal interstellaire, Ehman a entouré au stylo rouge le passage correspondant sur le relevé des mesures effectuées par le radiotélescope, et a écrit dans la marge à côté le commentaire « Wow! », interjection de surprise ou d’admiration en anglais, proche de « Ouah ! » en français. Ce commentaire est devenu le nom du signal1.

Ce signal n’a toujours pas d’explication faisant consensus. (source wiki)