16 décembre à 17 h : Remise des Prix de Traduction du Pen Club et du Grand Prix de la Critique littéraire 2023

Antoine SPIRE, président du Pen Club français,
Laurence PATON, Secrétaire générale du Grand Prix de la Critique littéraire
David FERRÉ, Président du comité de la traduction au Pen Club français

vous invite à cette cérémonie parrainée par Barbara CASSIN, de l’Académie française,

Barbara Cassin
© Colette Klein

en présence des membres des jurys.

Remise du Grand prix de la critique littéraire à Claude BURGELIN pour son essai biographique Georges Perec (éditions Gallimard) – Une mention spéciale est attribuée à Didier CAHEN pour Lire Paul CELAN (éditions Tarabuste).

Cette remise sera suivie d’un débat : L’évolution de la critique littéraire, avec la participation de Claude BURGELIN, Didier CAHEN, Laurence PATON et Antoine SPIRE.

Antoine Spire, Barbara Cassin
© Colette Klein

Didier Cahen
© Colette Klein

La remise des prix de traduction sera suivie du débat : Traduire aujourd’hui : approche poétique versus approche politique, avec la participation de Barbara CASSIN, Véronique BÉGHAIN, Évelyne NOYGUES, Olivier MANNONI, David FERRÉ et Antoine SPIRE.

La rencontre aura lieu à l’Ecole Normale supérieure : 45 rue d’Ulm 75006 Paris Salle Dussane.

En voici quelques souvenirs :

Laurence PATON a donné lecture du texte de Cécile GUILBERT, – membre du jury du grand Prix de la Critique littéraire – qui ne pouvait être présente :

Georges Perec, par Claude Burgelin, Gallimard, 2023 – Lauréat du Prix de la Critique, 2023

Claude Burgelin
© Colette Klein
Claude Mannoni
© Carole Mesrobian

    Infatigable explorateur de l’œuvre Perec dont il a été l’ami, et que cette amitié fait redoubler de probité par l’aveu, d’emblée, d’une méconnaissance initiale de la cohérence paradoxale de cette œuvre éclatée, Claude Burgelin a réussi la prouesse d’écrire un essai biographique passionnant qui à la fois rend limpide l’entreprise littéraire labyrinthique de l’auteur des Choses, et bouleverse le lecteur par son empathie et sa délicatesse.

Choisissant d’écrire la biographie d’une œuvre plutôt que d’une vie (quoique rien n’y manque de sa dimension intime), jamais submergé par la masse des témoignages, inédits, documents, essais et témoignages qui déferlent par vagues posthumes depuis quarante ans, Burgelin restitue avec brio « la pièce manquante du puzzle » que Perec désirait être.

En effet, déclenchée par l’indicible, si la prolifération de textes placés sous le signe de la multiplicité des formes et des voix, des contraintes et des jeux de langage, pousse nécessairement à l’exégèse, elle ne saurait se réduire à des performances, aux fameux exercices oulipiens, ces arbres qui cachent la forêt du sens.  Car au contraire, c’est à partir de ses fragments et de ses brisures, de ses trous et de ses creux, de ses manques et de ses secrets dessinant l’autoportrait tour à tour heureux et désespéré d’un Perec éternellement habité par l’esprit d’enfance, que son biographe inspiré a su comme personne nous donner les clés de cette œuvre si singulière, unique par son ambition sans cesse renouvelée et son ampleur.

Magique Perec dont Burgelin a exhibé tous les stratagèmes, les ficelles et les tours – et qui le demeure. Prodigieux Burgelin, donc, qui nous livre de cet état des lieux cryptés et masqués l’envoutante clé de voûte.

Cécile Guilbert

Texte de Laurence PATON :

L’OMBRE DES MOTS

Rarement essai biographique —puisque c’est de ce nom tout-à-fait approprié que Claude Burgelin nomme son Georges Perec — n’aura donné autant envie de lire ou de relire les œuvres de l’auteur en question. À peine le   livre   de Claude Burgelin refermé, je me suis précipitée sur ma bibliothèque pour relire   La boutique obscure   dont j’avais oublié qu’il était aussi remarquable : seul livre, à ma connaissance, où l’auteur  arrive à intéresser le lecteur au récit de ses rêves , sans doute à cause d’un travail d’élagage, de mise en scène , et de contraintes dans la présentation typographique pour les rendre aussi proches que possible de la scène nocturne. Ainsi, dans la transcription de ces rêves, l’alinéa marque-t-il « un changement de temps, de lieu, de sensation,  d’humeur, etc., ressenti comme tel dans le rêve ».

Le rêve et les contraintes, le foisonnement de l’imaginaire et les règles pour mieux le saisir, voici bien les deux pôles entre lesquels se jouent la vie et l’œuvre de Georges Perec. Car, comme le rappelle Claude Burgelin dans une formule frappante, les deux sont indissociables : « … La vie devenue écriture, l’écriture devenue vie de Georges Perec. » (p.17)

À plusieurs reprises, Claude Burgelin insiste sur le coté libertaire de l’auteur de La vie mode d’emploi.  Rappelant ses premières impressions du personnage, il souligne « une liberté toute simple dans la relation, rien qui pèse » (p.14), explique que « Perec eut l’art et la manière pour déambuler dans la société, le monde littéraire, l’existence, en un mélange de libertarisme, de disponibilité, d’esquive des mœurs et codes bourgeois » (p. 17).  Ou encore à propos de Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? ilrelève : « Derrière le Perec héraut de la contrainte, bâtisseur de structures et méticuleux ciseleur de puzzles, rôde aussi, toujours, un rebelle aux ordres établis, un anarchiste désinvolte y compris devant la littérature qui se prend pour la littérature. […] …quelqu’un pour qui l’évidente expression de cette rébellion est le rire. […] … une subversion radicalement légère et légèrement radicale de l’ordre social. » (p.120)

De même Claude Burgelin se souvient que quand il a rencontré pour la première fois Perec, au printemps 1959, par l’intermédiaire d’un ami commun, Roger Kleman, Perec était para: Perec para, et de plus en pleine guerre d’Algérie, on a du mal à y croire. Il a beau porter son béret mauve de traviole, n’empêche !  Quelques chapitres plus loin, on apprend que sauter, se lancer dans le vide, cette expérience aura été déterminante pour Georges Perec, comme mettre les pas dans ceux de son père soldat tué à la guerre en 1940. L’écrivain explique ainsi avoir « été beaucoup surpris le jour où Clara Malraux m’a dit que le saut en parachute équivalait à une psychanalyse… » « Il fallait absolument se lancer. […] Pour moi, ça a eu des résonances absolument incontestables : le fait qu’avant 1958 je n’arrivais pas à m’accepter et que maintenant j’y arrive constamment. » (P. 84) 

Perec ne s’est pas contenté de sauter en parachute pour se sentir mieux, il a aussi effectué plusieurs analyses, dont une avec Pontalis. Chacun des deux a écrit sur cette expérience.  L’écrivain un texte aigu et étonnant intitulé de manière assez ambiguë Le lieu d’une ruse  (in  Penser/Classer) où il commence par expliquer  qu’il a mis beaucoup de temps à l’écrire, quinze mois :  « Pendant ces quinze mois , j’ai rêvassé sur ces mots —méandres, comme, pendant quatre ans , sur le divan, j’ai rêvassé en regardant les moulures et les fissures du plafond. »  (p.61) Et il ajoute : « La psychanalyse ne ressemble pas vraiment aux publicités pour chauves : il n’y a pas eu un « avant » et un « après ». Il y a eu un présent de l’analyse, un « ici et maintenant » qui a commencé, qui a duré, qui s’est achevé. » (p.62). Le psychanalyste lui a écrit des phrases magnifiques (Entre le rêve et la douleur) citées par Burgelin (p.52) à propos de la fracture dans la vie de Perec , dont le père soldat est mort à la guerre en 1940, et la mère assassinée à Auschwitz en 1943 : « Les parents ont entraîné dans la mort l’enfant vivant. Il ne lui reste qu’à survivre ».

C’est sur cette amnésie — Perec explique qu’il n’a aucun souvenir de sa mère, morte lorsqu’il avait 7 ans, ni des lieux (la rue Vilin, dans le 20 ème arrondissement) où ils ont vécu ensemble —que s’est construite l’œuvre de Perec parti à la recherche de ce « pauvre enfant », du côté de ces îlots « inaccessibles, inhabités, inhabitables », même s’il est impossible de le retrouver. La mission est de ne jamais oublier ce Perec des origines, de le faire exister tel qu’il est —disparu, introuvable, silencieux, à la fois mort et toujours en vie—dans le seul lieu possible : les livres de l’écrivain, son porte-parole et son porte-silence (p.52). Car, comme l’écrit Burgelin, « Il n’y a qu’un seul lieu où l’aller chercher, la somme de ses écrits ». C’est dans ce miroir qu’il entend être regardé. Sa vie est là et, à bien des égards, nulle part ailleurs. »

Une vie et une œuvre donc sous le signe de la disparition et de la fracture, qu’illustre bien ce propos tenu par Perec le 24 mai 1981, quelques mois avant sa mort : « Le plus important dans un roman, c’est…je pourrais dire que ce n’est pas écrit. C’est quelque chose qui est derrière les mots et qui n’est jamais dit. » C’est cette manière souterraine dont les éléments biographiques travaillent l’écriture en profondeur, donnent une ombre aux mots que Claude Burgelin a magistralement mis à jour. On pourra trouver un écho à cette ombre des mots  dans le beau livre de Didier Cahen « Lire Paul Celan », couronné également par une mention spéciale de notre Prix. Didier Cahen en effet pointe chez   le poète « cette manière de ne rien dire quand rien ne peut se dire ». C’est la part accordée à cette ombre des mots qui rapproche ces deux œuvres couronnées aujourd’hui par le Grand Prix de la critique littéraire.

Je terminerai avec ce poème de Paul Celan :
Toi aussi parle
parle en dernier
dis ta parole.
Parle—
mais sans séparer le non du oui.
Donne aussi le sens à ta parole :
donne-lui l’ombre.

p. 84DC Toi aussi parle. De seuil en seuil, trad. Valérie Briet, Christian Bourgois, 1991.

Prix de Traduction 2023

LAURÉATS et mentions spéciales

Catégorie « essai » 

  • La lauréate est la traductrice Valérie Le Plouhinec pour « Au nom des Noirs » de Robert Penn Warren (traduction de l’anglais) Le Cherche midi éditeur.
  • La Mention spéciale est attribuée à la traductrice Odile Demange pour « La paix ou la guerre » de Mikhaïl Chichkine (traduit de l’allemand) Edition Noir sur Blanc.

Catégorie « roman-récits-nouvelles » :

  • La lauréate est la traductrice Marie Vrinat-Nikolov pour le roman « Vierge jurée » de Rene Karabash (du Bulgare) chez Belleville éditions.
  • La Mention spéciale est attribuée à la traductrice Lucie Modde pour « L’Hôtel du Cygne » de Zhang Yueran (du Chinois). Chez Zulma.

Catégorie « théâtre » :

  • Les lauréats sont la traductrice Tania Moguilevskaia et le traducteur Gilles Morel pour la pièce « Conférence iranienne » d’Ivan Viripaev (russe) Ed. Solitaires intempestifs.
  • La Mention spéciale est attribuée au traducteur Edouard Pons pour la pièce « Quand la neige tombera » de Javier Vicedo Alós (Espagnol-Espagne). Actualités éditions.

Catégorie « poésie » :

  • Le lauréat est le traducteur Alexis Bernaut pour l’ouvrage « La lumière des étoiles ne cesse de faiblir » de Robert Bringhurst (Anglais-Canada). Ed L’Herbe qui tremble.
  • La Mention spéciale est attribuée au traducteur François-Michel Durazzo pour l’ouvrage « Cette mince ligne de partage » de Silvia Eugenia Castillero (espagnole-Mexique) Ed. Lanskine
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