Déclaration du PEN du Monténégro

Mesdames et Messieurs,

La Charte de PEN International est fondée sur les valeurs de la paix et de la liberté dans le monde et sur la préservation des identités, des langues et des cultures nationales. Depuis son adhésion à PEN International en 1991, le centre PEN du Monténégro a toujours protégé ces valeurs et ce, d’autant plus que les Monténégrins constituent l’une des plus petites nations d’Europe en termes de population.

Toutefois, ce que nous avons établi comme fondements est plus que menacé aujourd’hui. L’agression de la Russie contre l’Ukraine a révélé l’importance malveillante de l’influence russe en Europe. De nombreux documents internationaux publiés aux États-Unis, au sein de l’UE et répercutés par de nombreux médias occidentaux attestent que le Monténégro est l’un des pays-cibles de cette déstabilisation ;  le but  est de remettre en question son indépendance, ses libertés civiles et sa paix.  La question qui se pose est la suivante : comment la Russie exerce-t-elle son influence au Monténégro et comment menace-t-elle la liberté et la paix dans les Balkans ?

Le Monténégro, vous le savez, a retrouvé son indépendance en 2006, lorsqu’il s’est séparé de l’union étatique avec la Serbie à la suite d’un référendum sur l’indépendance. Jusqu’en 2020, une majorité parlementaire qui promouvait une politique pro-occidentale était au pouvoir au Monténégro.  C’est grâce de cette politique que le Monténégro a réussi à devenir le candidat le plus apte à rejoindre  l’UE, car pour y parvenir il s’est engagé à remplir les condition  d’adhésion sur  tous les chapitres de la négociation. De même, le pays a rejoint l’OTAN en 2017. Cependant, en 2020, ce gouvernement a été remplacé.

Pendant le processus électoral deux pays étrangers – la Russie et la Serbie – ont gravement interféré dans nos affaires politiques internes. La Russie s’est occupée des financement alors que la Serbie a coordonné la plupart des partis politiques qui forment le gouvernement du Monténégro depuis. Récemment, le département d’État américain a publié des documents qui établissent le fait que Moscou a financé certains des partis politiques au pouvoir au Monténégro.

L’objectif de changer l’orientation politique du Monténégro se reflète dans les efforts de la Serbie pour regagner l’influence qu’elle avait au Monténégro jusqu’en 2006, tandis que la Russie aspire à renforcer sa position pour trouver un point vulnérable dans l’alliance de l’OTAN. Le changement de gouvernement a eu un effet désastreux sur la société monténégrine. Le nouveau gouvernement, dirigé idéologiquement et spirituellement par l’Église orthodoxe serbe, que l’UE décrivait dans ses documents il y a six mois comme l’un des principaux outils de l’expansion de l’influence russe dans les Balkans, a commencé à étouffer les libertés civiles et à provoquer une l’instabilité sociale. L’expression “guerre civile” a fini par être utilisée quotidiennement dans le discours public au Monténégro au cours des deux dernières années.

La préoccupation est grande dans le pays car si les forces pro-occidentales ne reprennent pas le pouvoir au Monténégro, le risque d’un conflit civil majeur grandira. Le Premier ministre par intérim du Monténégro, Dritan Abazović, qui entretient d’excellentes relations amicales et familiales avec le président serbe Aleksandar Vučić et la Première ministre serbe Ana Brnabić perturbe davantage la paix civile autant par la médiocrité de sa politique ultranationaliste que par ses déclarations tonitruantes. L’effet escompté consiste à polariser encore plus la société monténégrine. Cela n’est pas sans effet sur la sécurité des intellectuels, des journalistes et des activistes civils. À cause de cette politique proserbe et à ses relations étroites avec l’Église orthodoxe serbe, les négociations entre le Monténégro et l’Union européenne sont au point mort.

Il y a exactement un mois, au Parlement monténégrin, M. Abazović a publiquement attaqué le centre PEN monténégrin et l’a accusé de propager « le fascisme et le nationalisme ». À cette occasion, elle a brandi une photo du célèbre écrivain Milorad Popović, membre du centre PEN monténégrin, le blâmant d’être le promoteur de la politique nationaliste qui « sert les intérêts du crime ». Le Premier ministre Dritan Abazović a adressé les mêmes qualificatifs à Andrej Nikolaidis, un autre écrivain très connu, également membre du centre PEN monténégrin. Il convient de noter que le centre PEN monténégrin a été le premier à condamner l’agression russe contre l’Ukraine et à soutenir ouvertement le peuple ukrainien. Le Centre PEN a aussi critiqué ouvertement la politique grand-russe et grand-serbe, ainsi que l’instrumentalisation politique de la Russie et de la Serbie et de l’Église orthodoxe serbe.

Le cas du Centre PEN monténégrin et des écrivains Popović et Nikolaidis n’est qu’une petite illustration de ce que fait le gouvernement du Monténégro au cours des deux dernières années. Nous assistons à la persécution des médias et des journalistes, des activistes civils ainsi qu’aux tentatives de fermeture et de suspension du financement des institutions nationales monténégrines. Par exemple, dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement a suspendu le financement de la Faculté de médecine et celle de langue et de littérature monténégrines. Enfin, au cours des deux dernières années, nous avons assisté à une campagne de dénigrement public, d’injures et de menaces à l’encontre du Centre PEN monténégrin de la part des plus hautes instances du pouvoir exécutif, alors que le gouvernement soutient financièrement les partis de la droite radicale et les associations nationalistes prorusses et serbes.

Outre le fait de réduire au silence les critiques et de limiter la liberté des intellectuels, cette politique a deux objectifs : arrêter le processus d’entrée dans l’UE du Monténégro et l’obliger à rejoindre l’opération « Open Balkan », menée par la Serbie et qualifiée de « prometteuse » par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov.

La même rhétorique, active en Ukraine dans la période d’avant-guerre — où la Russie niait l’existence de la nation, de la langue et de la culture ukrainiennes, est aujourd’hui à l’œuvre au Monténégro. Car la Serbie et les élites politiques serbes refusent de reconnaître l’existence de la nation monténégrine, de sa langue, de sa littérature et de sa culture. En conséquence, elles ne reconnaissent pas l’existence d’écrivains monténégrins. Il s’agit d’une situation très dangereuse, car tout déni de l’identité et de la culture nationales peut conduire à un conflit.

Le Monténégro a beaucoup de chance d’avoir déjà rejoint l’alliance de l’OTAN mais cette adhésion ne la protège pas contre les troubles internes qui détruiraient tout rêve du Monténégro de rejoindre bientôt dans l’Union européenne.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir inclure le cas du Monténégro et les attaques des autorités monténégrines contre l’Union européenne dans le rapport annuel de PEN international. Le centre PEN monténégrin vous enverra ultérieurement une documentation détaillée et des preuves à cet égard. En donnant un écho international aux exactions subies par les écrivains du Monténégro, nous pourrons ainsi mieux défendre la liberté et la paix dans notre pays.

Merci beaucoup pour votre considération.

Au nom du Centre PEN du Monténégro,

Professeur Boban Batrićević

27 septembre 2022
Traduction de Fulvio Caccia