Gaza, L’AUTRE NOM DE LA CATASTROPHE

Article rédigé par Philippe PUJAS, président du comité pour la paix – pour le congrès international du comité pour la paix du Pen international qui s’est tenu à Bled (Slovénie).

En ce printemps 2024, il semble que les catastrophes soient devenues l’état naturel du monde. Nous avions eu, pendant quelques mois, l’impression d’avoir, avec le Covid, touché ce que pourrait être la marche vers la catastrophe de trop pour l’espèce humaine, ou du moins un dernier avertissement avant la catastrophe finale, comme si la nature bonne fille ne voulait pas nous laisser périr sans nous prévenir. Et dans les chambres où nous étions reclus, nous avons beaucoup pensé et écrit sur la punition qui nous était infligée et sur les temps à venir. Trop écrit, même : un tombereau de textes pleins de promesses et de bonnes intentions. Livré à lui-même, l’écrivain avait écrit.

Il avait écrit sur les causes de la catastrophe, il avait écrit sur notre nécessaire nouveau rapport au monde, il avait écrit sur le monde à venir qu’il allait porter.

Et puis, le covid s’est fait plus discret, grâce non pas aux écrivains mais aux savants. Et alors ce que l’écrivain a écrit, et que sans doute quelques personnes ont lu, a été vite oublié. Oublieux, le monde s’empressait de faire comme si la catastrophe n’avait jamais existé : il s’est remis à consommer avec frénésie et à piller la planète comme si rien ne s’était passé. L’oubli est un des visages de la catastrophe.

Et puis, il s’est si vite passé tant d’autres choses. Spectateur de tremblements de terre, d’inondations et d’incendies gigantesques, mesureur impuissant des hausses de température, l’homme se souvenait vite que, par nature atavique, il est un loup pour lui-même. Et nous voyons prospérer les dictatures et les guerres. Nous comptons les dizaines de milliers de morts de la terre d’Ukraine et de la terre de Palestine, les massacres sauvages et les assassinats à petit feu. Et, pour ceux qui refusent de désespérer de la nature humaine, le défi est considérable et vital. Nous ne serions pas des écrivains du Pen club si ce combat-là n’était pas le notre.

Mais sommes-nous à la hauteur ? Notre parole porte-t-elle, et suffit-elle ? Comment produire une parole forte, une parole qui porte devant l’abominable de la situation à Gaza, l’horreur des plus de 30000 morts, des villes détruites, des hôpitaux attaqués, d’un peuple condamné à la famine, des enfants tués, mutilés ou orphelins ? Nous qui sommes loin, nous qui ne vivons pas ces situations, nous nous devons de protester, mais nous devons aussi nous effacer derrière la parole des victimes, relayer les écrits et les témoignages des écrivains palestiniens, dans nos pays respectifs.

 Notre premier impératif est de relayer aussi haut que possible la parole de ceux qui souffrent sous les bombes et les blocus.   Mais qui peut le faire mieux que ceux, écrivains palestiniens, qui vivent dans leur chair cette tragédie ? A nous il revient de donner le plus large écho à leur parole, à leurs écrits, de faire que ces paroles soient rapportées dans le monde, à commencer chez chacun d’entre nous. Nous sommes ensemble un puissant réseau, et c’est la puissance de ce réseau que nous devons mettre au service de ceux qui souffrent : les accueillir, organiser des lectures, publier des textes, etc.

Et, comme nous sommes des hommes et des femmes de paix, nous devons aussi soutenir ceux qui, dans le camp d’en face, se refusent avec courage à l’escalade insensée de la violence et à la folie meurtrière de leur gouvernement. Nous devons être aux côtés de ceux qui ont pris sur eux pour surmonter le traumatisme de l’abominable 7 octobre, et faire écho à leur parole aussi. Souvenons-nous que c’est notre tradition, au Comité de la paix, d’être un lieu de médiation, et que nous n’avons jamais baissé les bras. Nous le ferons maintenant moins que jamais, avec l’obsession d’agir et pas seulement de parler.

Dans les églises, les temples, de petites lumières veillent. Il est arrivé à quelques-uns d’entre nous d’entrer au temple, d’y allumer une de ces frêles et vacillantes lumières. On les sait fragiles, mais on les a allumées parce qu’elles sont le symbole de l’espoir. Qui sommes-nous, dans nos centres PEN, et plus particulièrement au Comité de la paix, sinon ces modestes et déterminés allumeurs de fragiles lumières, attentifs à ce que l’une d’entre elles, au moins, soit toujours allumée ? Et sin notre responsabilité était que jamais cette lumière ne s’éteigne ?

Philippe PUJAS
Pen France