Lettres du Comité de soutien France de soutien à l’historien Maâti Monjib 

à

Monsieur Emmanuel Macron
Président de la République,

Objet : Propos de Monsieur l’Ambassadeur de France au Maroc au sujet de la Résolution du Parlement européen concernant la situation des journalistes au Maroc

           

Le numéro du magazine marocain TelQuel du 3 février 2023 a publié une interview du nouvel ambassadeur de France au Maroc, monsieur Christophe Lecourtier,  que vous avez nommé le 15 décembre dernier ; ce dernier y déclare : « La résolution du Parlement européen [sur la situation des journalistes au Maroc, en particulier le cas d’Omar Radi] n’engage en rien la France. Nous sommes responsables des décisions des autorités françaises mais pas du Parlement européen, où il y a une diversité de groupes d’eurodéputés élus et de courants d’idée ».

            Celle déclaration nous interpelle, en tant que citoyens français et en notre qualité de membres du Comité de soutien France aux prisonniers politiques au Maroc. Évidemment formellement, la résolution du Parlement européen n’a pas d’effet contraignant et n’a donc pas force de loi pour l’État français comme pour les autres États de l’Union européenne.

En revanche, elle est adressée non seulement à l’État marocain mais aussi aux gouvernements et États membres de l’Union Européenne et leur lance un appel solennel « à continuer à soulever auprès des autorités marocaines les cas des journalistes incarcérés et des prisonniers d’opinion, ainsi que d’envoyer des représentants assister aux procès ; [elle] demande à l’Union de peser de tout son poids pour obtenir des améliorations concrètes de la situation des droits de l’homme au Maroc ».

            Il est donc étonnant que monsieur l’Ambassadeur de France au Maroc traite avec une telle désinvolture cette résolution, comme si elle était sans aucune importance. Au-delà du mépris qu’elle exprime pour des parlementaires élus par ses concitoyens français et européens et pour la normale diversité de leurs opinions, elle interpelle surtout pour le peu de cas que fait monsieur l’Ambassadeur de la question de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion. 

Pourtant le site du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (diplomatie.gouv.fr) précise explicitement que « la protection des défenseurs des droits de l’homme est une priorité des postes qui s’exprime par des démarches, des déclarations, des soutiens ou des mesures directes en cas d’urgence ». Nous étions donc en droit d’attendre à tout le moins de monsieur l’Ambassadeur qu’il indique son intérêt pour une telle déclaration et qu’il rappelle son engagement sur le respect des droits de l’homme dans le cadre de l’exercice de ses fonctions diplomatiques au Maroc.

Le même site rappelle que « le soutien de la France aux défenseurs des droits de l’homme s’opère concrètement via la mobilisation de son réseau diplomatique ». Rejeter d’un revers de main la résolution du Parlement européen est donc une faute professionnelle qui nous choque tout particulièrement, nous qui suivons depuis des années le dossier des prisonniers d’opinion au Maroc et connaissons dans le détail toutes les violations du droit qui ont amené des journalistes, des blogueurs, de simples citoyens s’exprimant sur Facebook à purger des peines de plusieurs années de prison pour des « délits d’opinion » occultés sous des accusations de droit commun les plus diverses et les plus fantaisistes. Ces violations ont été précisément documentées par notre comité, mais aussi par Amnesty International, Human Rights Watch, Reporters sans frontières, l’ Association marocaine des droits humains, notamment.

La suite de l’interview indique l’importance qu’accorde votre Ambassadeur à renouer des liens fraternels avec le Maroc, ce dont nous nous réjouissons, et à renforcer la coopération économique. Mais les « défis de demain », pour reprendre ses termes, ne se résument pas à « l’énergie, l’industrie et au ‘capital humain’ (sic) ». La vigilance par rapport au respect des personnes humaines et à leurs droits fait également partie de la consolidation de la démocratie et de la liberté d’expression et du rapprochement entre les peuples marocains et français.

Nous saisissons cette occasion pour insister sur le cas de l’historien, universitaire et journaliste Maâti Monjib, de double nationalité marocaine et française, harcelé de façon constante depuis 2015 par le système tant policier que judiciaire marocain, empêché de voyager pour venir voir sa famille en France, et qui a, jusqu’à ce jour, trouvé porte close auprès de l’ambassade de France au Maroc.

Nous espérons que vous aurez à cœur le respect des principes qui fondent la République française, y compris dans ses relations avec les autres gouvernements du monde, et que vous saurez remettre la question des droits humains au centre de l’action diplomatique du gouvernement que vous présidez.

C’est pourquoi nous vous demandons, par la voix de votre ambassadeur, d’œuvrer en faveur de :

– la liberté de circulation pour le professeur Maâti Monjib ;

– la libération des journalistes Omar Radi, Soulaiman Raissouni et Taoufik Bouachrine, condamnés à de lourdes peines de prison pour des motifs fallacieux montés de toutes pièces mais en vérité pour avoir exercé leur métier, l’ONU reconnaissant que leur procès était inéquitable ;

– la libération des citoyens et citoyennes marocainEs harceléEs et condamnéEs parfois à de lourdes peines, comme les militants du Hirak du Rif qui ne demandaient que des infrastructures nécessaires à la santé, l’éducation, le travail : Nasser Zefzafi, Nabil Ahamjik, Said Ighid, Zakaria Adehchour, Mohamed Jalloul et ceux qui, comme le docteur Rida Benotmane, ont publié sur facebook ou sur leurs blogs, souvent de simples citoyens ordinaires, des opinions ou des messages solidaires avec les prisonniers politiques ou les les mouvements sociaux tels Rida Benotmane (condamné à trois ans de prison), Yassine Ben Chakroune surnommé Yassine Etouarre, condamné le 3 février à deux ans de prison ferme à Safi,  Saida Alami, Nourredine Alouaj,  Mohamed Baâssou officiellement poursuivi pour des relations hors mariage, et l’ancien bâtonnier Mohamed Ziane qui vient de fêter ses 80 ans en prison et qui n’a pas eu droit, lui non plus, à un procès équitable, alors qu’il a été un fervent pourfendeur de l’arbitraire lorsqu’il était ministre des Droits de l’homme..

Les libertés de pensée, de conscience, d’expression et d’information, de réunion et d’association ne doivent pas être sacrifiées par des relations diplomatiques complaisantes.

Veuillez croire, Monsieur le Président, à l’assurance de toute notre vigilance,

Paris, le 15 février 2023

Comité France de soutien à l’historien Maâti Monjib

et à tous les détenus politiques et d’opinion au Maroc

 soutienmaatimonjib@gmail.com

Copie à Monsieur l’Ambassadeur de France au Maroc

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Comité France de soutien à l’historien Maâti Monjib  et à tous les détenus politiques et d’opinion au Maroc

à Mesdames et messieurs les Sénatrices et sénateurs du groupe interparlementaire d’amitié France-Maroc

Mesdames, messieurs

            C’est à notre tour, en tant que membres du Comité France de soutien à l’historien Maâti Monjib et à tous les détenus politiques et d’opinion au Maroc qui suivons de près la situation des droits humains au Maroc, des libertés d’opinion et de la presse, de manifester notre étonnement à la lecture du communiqué que vous avez publié concernant la résolution du Parlement européen concernant la liberté de la presse au Maroc.

            Vous qui suivez de près l’actualité marocaine ne pouvez ignorer les procès inéquitables qui se déroulent ces dernières années à l’encontre de plusieurs journalistes, universitaires, blogueurs et You tubeurs, se retrouvant condamnés à des années de prison ferme, avec des chefs d’accusation non étayés relevant du droit commun (affaires de mœurs, blanchiment d’argent…), quand tout indique qu’ils se retrouvent en prison pour les opinions, les enquêtes, les textes qu’ils ont publié. Telle est la réalité.

            Dire cela ne signifie en aucune manière que nous soyons des adversaires du Maroc. Nous serons les premiers à nous réjouir que les relations franco-marocaines prennent un nouvel élan, à condition que cela se fasse sur une bonne base. Or il est évident que la défense du droit international, notamment celui concernant les droits de l’homme, ne peut être sacrifiée au profit de relations diplomatiques sans principes.

            En tant que représentants élus du peuple français, vous savez parfaitement que critiquer des décisions ou des actions iniques d’un gouvernement fait partie des rouages normaux de la démocratie et que, par ailleurs, le gouvernement ne saurait à lui seul représenter l’opinion de tous les citoyens du pays qu’il gouverne. Une telle critique ne transforme pas ceux qui l’émettent en ennemis du pays dont le gouvernement est critiqué.

            Lorsque des élus, députés, sénateurs, ou bien des militants des droits humains ou de simples citoyens rappellent au gouvernement marocain ses obligations en matière de liberté d’opinion et de la presse, et demandent une justice équitable cela n’implique en aucune manière qu’ils soient des ennemi.es du Maroc, ils sont bien plutôt des ami.es du peuple marocain.

            Nous nous réjouissons de votre attachement à la liberté de la presse et espérons qu’il se traduira par des actes concrets en faveur de la liberté de la presse  au Maroc et de la libération des journalistes emprisonnés, dans le cadre de vos activités sénatoriales.

            Nous joignons à ce courrier un dossier de presse concernant la situation de la liberté de la presse au Maroc et sommes à votre disposition pour tout complément d’information que vous souhaiteriez obtenir. Nous serions très heureux de pouvoir rencontrer ceux ou celles d’entre vous qui souhaiteriez échanger à ce sujet.

            Veuillez croire, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, à l’assurance de toute notre considération.

Paris, le 22 février 2023

Comité France de soutien à l’historien Maâti Monjib

et à tous les détenus politiques et d’opinion au Maroc

 soutienmaatimonjib@gmail.com